mercredi 1 avril 2020

RENCONTRE AVEC ABDELLAH TAIA AUX DERVALLIÈRES

Abdellah Taïa, que l'on avait découvert jeune écrivain marocain en mode coming-out effronté (l'homosexualité est un délit au Maroc), était aux Dervallières, le 5 mars dernier, dans le cadre de sa participation au festival des littératures du monde, Atlantide. Tranches d'une vie.

Né à Rabat, en 1973, le beau gosse de la cité des corsaires, Salé, a passé une partie de sa petite enfance dans les coursives de la bibliothèque nationale du Maroc, où son père était « chaouch » (homme à tout faire). « Voilà pour ma mythologie personnelle », glissera-t-il au parterre d'une vingtaine de personnes, dont la plupart ne savaient rien de lui, venues l'écouter parler de tout et de rien, juste par curiosité.

L'homme est charmant : svelte, aux traits fins, le regard sombre et triste, l'humeur joviale, crâne rasé, sweat à capuche, mains graciles, volubiles et assurance virile, détonant avec l'image d'artiste gauche à laquelle on pouvait s'attendre... Abdellah Taïa est si attachant qu'un monsieur lui a fait du gringue, à la fin de cette représentation, une première à Nantes. Car s'il est un grand écrivain contemporain, à la bibliographie respectable (il a même réalisé un long-métrage d'après son roman l'Armée du Salut), il cultive son personnage et entretient sa légende...


« Je ne me souviens pas exactement du moment où j'ai décidé de devenir écrivain mais, en 1992, j'ai découvert que je pouvais écrire des textes en français, la langue du colon. Je savais qu'avec l'arabe, je n'arriverais à rien. Je me suis octroyé le droit d'entrer en littérature pour copier ceux qui disent des choses intéressantes et intelligentes. J'ai mis un an à comprendre l’Assommoir de Zola. Après avoir passé mon enfance dans l'extrême pauvreté, à voler des nèfles dans les villas des riches, j'ai voulu venir voler quelque chose à la France. Depuis tout jeune, j'ai été conscient que séduire des étrangers pour obtenir un visa était la seule façon d'y arriver, c'est une réalité. »

L'homme de lettres
Il a fait l'honneur à l'assistance de partager ses références absolues : Le livre de l'intranquillité de Fernando Pesoa, les Lettres portugaises (roman épistolaire anonyme du XVIIème), Les Lettres de Madame de Sévigné. Il citera encore « Barbara, que je vénère », déclamant à plusieurs reprises, pour qu'on en saisisse la beauté rythmique : « il y a si peu de temps, entre vivre et mourir, qu'il faudrait bien pourtant, s'arrêter de courir » (L'île aux mimosas).

Le féministe
Huitième enfant d'une fratrie de neuf, son aîné a aujourd'hui 65 ans, et il a 7 sœurs. « Ma mère ne m'aimait pas. Mais je ne lui en veux pas. Je la comprends. J'ai réalisé tardivement le mal que j'ai pu lui faire en clamant être homo et libre depuis Paris (il y vit depuis 1999). Mes sœurs ne vivent pas la même réalité que moi, et qui suis-je pour leur imposer une vision de la liberté ? ».

L'humble
« Je suis impitoyable quand j'écris, et je tiens ça de ma mère qui était dure dans ses récits. L'écrivain écrit, mais il y a aussi la vie. Le sens de la littérature, c'est dépasser la quotidienneté. A la mort de ma mère -chose dont on ne se remet jamais- on s'est enfin compris : il n'y a pas que moi, il y a les autres. Aujourd'hui, lorsque quelqu'un me fait à manger, ça me touche énormément car cela n'arrive pas souvent, et depuis que ma mère est morte, je réalise que j'avais ça devant moi et que je n'ai pas dit merci. Je m'étais construit un personnage depuis l'âge de 12 ans. Car on ne s'en sort pas en étant totalement honnête. Dans la vraie vie, ce qui m'intéresse, c'est cette forme de compréhension qui arrive parfois entre deux individus... Mais il ne faut pas faire confiance aux mots. Plus j'écris, plus je suis dépassé par ce que j'écris. »

Le fils
Et comme sa mère revient sans cesse dans la tête, le cœur et la bouche de ce grand enfant, et que les lettres sont son modèle, Taïa de conclure en lisant un texte inédit, dédié à celle qu'il appelle Mbarka, intitulé « Crier l'injustice tôt le matin », lacrimal. Il a fini par dédicacer mon exemplaire du Rouge du Tarbouche avec ces mots : « salam beau ».



Son dernier livre, La Vie Lente, publié en mars 2019, vient de sortir en poche. 



PS : c'est quand il veut pour un tajine-maison;)


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