J'aimais bien cette auteure à ses
débuts : avec Kiffe kiffe demain, qui la révéla comme
écrivaine prodige en 2004 (elle avait 19 ans), puis avec du Rêve
pour les oufs en 2006 ou encore les Gens du Balto en 2008, elle nous
avait habitués à un discours nouveau, simple et efficace.
Le problème, c'est que sa
particularité, de rendre littéraire la langue des cités, s'est
galvaudée depuis que tout le monde parle kaïra (Cyril Hanouna
apostrophant ses collègues à base de « frérot » ou,
véridique, Sophie Davant disant de Brigitte Macron qu'elle est
« gaulée grave »). Et puis, à l'instar d'une Virginie
Despentes, la gouaille cultivée finit par être fatigante.
« Le monde a changé à partir du
forfait Millénium. Désormais, on se parlerait sans limites. On
pourrait se dire autre chose que l'essentiel. La jeunesse devenait
Millénium, le monde sous nos yeux, était en train de devenir
Millénium. J'ai le Millénium Blues. Vous l'avez aussi ? Est-ce
qu'on en guérira un jour ? ».
Ça, c'est la promesse de la quatrième
de couverture. Convenons que ça a le mérite de donner envie. Alors
j'ai plongé dans cette biographie déguisée : l'histoire d'une
jeune femme, de ses parents, de sa meilleure amie qui cause un
accident de la route mortel, de sa grossesse, son accouchement, sa
rupture avec le père de son enfant, de son statut de nouvelle mère
célibataire ayant échappé à la coupe d'un pervers narcissique (on en est toutes plus ou moins là), bref, la vie, quoi, émaillée de chocs collectifs qui
ont marqué les vingt dernières années : la coupe du monde
98, le 11 Septembre, l'affaire DSK, le tout saupoudré d'une
playlist (heureusement inaudible) d'Abba et de références
discutables comme Charles Ingalls en guise d'homme idéal.
Les +++ :
Un chapitrage rapide, on peut lire une
ou deux pages vite fait, comme on grignoterait des chips, sauf que
les chips ont un goût de revenez-y qu'on ne trouve pas ici : on
a plutôt envie d'en finir et vite.
Une galerie de personnages bien
dépeints : « Elle a des cheveux brillants qui ont l'air
propres et brossés, et c'est évident qu'elle ne frise pas sous la
pluie. Ses deux rangées de dents sont si blanches et alignées que
si Chopin était en vie, il se précipiterait sur elle pour jouer son
Concerto pour piano en fa mineur. Tatie a aussi des mains
délicates, des yeux où le vert et le marron se mêlent si bien
qu'on dirait du miel, elle n'a pas de cellulite, pas une vergeture,
et pas la moindre ride. (Pas de cul non plus d'ailleurs, mais plutôt
un truc qu'on pourrait qualifier de dos prolongé). »
![]() |
Photo tirée de la page FB de la Grande Librairie |
Les - - - :
L'usage récurrent des parenthèses,
qui donne un style de chronique de magazine féminin assez énervant,
de par la fausse connivence que cet élément de ponctuation tente
d'instaurer avec sa lectrice en l'invitant à des apartés de
copinage puéril (vous me suivez ou pas?).
Une coquille, page 197, impardonnable
en littérature : « -Un tien(!) vaut mieux que deux tu
l'auras ! ».
Pas moins d'une demi-douzaine de
formules creuses définissant la vie, genre de périphrases qu'on
trouvait gravées aux portes des toilettes au collège, ou plus
récemment sur les murs Facebook :
Page 62 : « La vie est un
drame ponctué de joies. »
Page 110 : « La vie n'est
rien d'autre qu'une tornade menaçant de tout emporter. »
Page 127 : « Si seulement on
vivait tous comme est mort the falling man. Si on allait
au-devant de la vie, tête la première, si on sautait, si seulement
on vivait éperdument. »
Une conclusion bateau digne d'une copie
de mauvais élève : « Car, oui, la vie mérite d'être
fêtée. Il faudrait célébrer la vie qu'on nous donne à vivre et
ne pas en faire n'importe quoi. » Sérieusement?
Et puis, perdu au milieu du livre, un
texte de 4 pages intitulé "Une vie simple", résonne comme une
fulgurance poétique, de sa lucidité triste qui contraste avec les
jeux de mots faciles et pas drôles donnés au titre des deux
parties : "LE PASSÉ (décomposé)" et "LE PRÉSENT (est un
cadeau)". Faïza a fait un stage au service comm' de Monoprix ou quoi?
Et puis, au chapitre "REFAIRE SA VIE: Est-ce qu'il existe une expression plus stupide que ça? On ne refait jamais sa vie. On la continue, tant bien que mal, en boitant, la figure pleine de cicatrices." Ouch!
Et puis, au chapitre "REFAIRE SA VIE: Est-ce qu'il existe une expression plus stupide que ça? On ne refait jamais sa vie. On la continue, tant bien que mal, en boitant, la figure pleine de cicatrices." Ouch!
Il y a certes beaucoup de talent
là-dedans mais réparti trop inégalement.
Millénium Blues, Faïza Guène,
Fayard, 2018, 232 pages (à lire à la plage).
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